De l’importance de parler une langue « régionale »
Adessias en tóutei !! Je profite du carnaval d’articles sur le thème « de l’importance de parler une langue étrangère », organisé par Machiko et Laurent du blog « apprendrelejaponais-decouvrirlejapon » pour écrire quelque chose de différent de ce que j’ai l’habitude de faire. Je les remercie d’accepter mon article, bien qu’il ne soit pas sur les langues « étrangères » mais « régionales » et en l’occurrence sur le provençal (ou occitan).
J’ai eu envie de participer à cet évènement pour :
- Déjà réfléchir moi-même aux avantages de parler une langue »régionale » et aux raisons qui m’ont poussé à faire mon blog sur la langue de Mistral
- Orienter votre regard vers les langues qui sont près de chez vous plutôt qu’à l’extérieur du territoire français (non pas par chauvinisme mais par curiosité et envie de découvrir cette richesse linguistique et culturelle)
Quelques points sont à clarifier avant d’entrer dans le vif du sujet :
- Quand j’utilise le mot « occitan », je parle de l’ensemble des variétés composant l’espace de la langue d’Oc. C’est à dire le limousin, l’auvergnat, le gascon, le languedocien, le vivaro-alpin et le provençal.
- Quand j’utilise le mot « provençal », c’est pour désigner la variété d’occitan parlée en Provence.
- Quand j’utilise le mot « culture », je ne parle pas seulement des arts mais de « l’ensemble des savoirs et des savoir-faire d’une société à un certain moment de son histoire » alimentée par un apport populaire, anonyme et un apport savant qu’on peut dater et dont on connait l’origine. Exemple : Il y a des chansons traditionnelles dont on ne connaît pas l’auteur (apport populaire) et des chansons avec auteur (apport savant).
- Si je mets le terme « régionales » entre guillemets pour les langues, c’est parce que je pense que cet adjectif est réducteur. Il vaudrait mieux parler de langues « nationales » puisqu’elles font partie du patrimoine national.
L’importance de parler une 2ème langue au niveau cognitif
- Selon une étude de 2017 faite par des chercheurs italiens de l’Hôpital San Raffaelle de Milan, le bilinguisme retarde l’apparition de la maladie d’Alzheimer et ses symptômes sont moins intenses. Selon eux, le fait de parler 2 langues de manière égale tout le long de la vie, modifie les fonctions cérébrales à la fois de l’activité métabolique frontale et de la connexion entre les aires spécifiques du cerveau. Cela permet de compenser les dommages causés par cette maladie.
- Selon une étude de 2016, de l’équipe de la chercheuse Ana Inès Ansaldo du centre de recherche de l’IUG de Montréal, « des années de bilinguisme transforment la façon dont le cerveau arrive à accomplir des tâches demandant de se concentrer sur une source d’information sans se laisser distraire par d’autres informations superflues, le rendant plus efficace et économe de ses ressources. »
- Selon une étude de 2010 menée par l’équipe d’Esther Adi-Japha de l’université de Bar-Ilan en Israël, les enfants bilingues concernés par l’étude ont montré une + grande créativité, une + grande imagination et une + grande maîtrise des concepts abstraits que les enfants monolingues.
- Selon cet article de la linguiste Amy Thompson, l’apprentissage d’une autre langue permet d’améliorer notre tolérance de 2 façons :
– d’une part en nous faisant voir d’autres manières d’appréhender le monde
– d’autre part en nous habituant à nous retrouver dans des situations qui ne nous sont pas familières. C’est le concept de « tolérance à l’ambiguïté ». - Enfin selon cet article, les personnes bilingues ont une meilleure capacité d’apprentissage en général et d’une 3ème langue en particulier.
Je pourrais ajouter également à cette liste non-exhaustive que, grâce à certains traits grammaticaux, phonétiques ou lexicaux, l’occitan est un pont entre le français et d’autres langues romanes voisines géographiquement comme l’italien, le catalan, l’espagnol castillan ou le portugais.
Mais s’il s’agit uniquement de bénéfices cognitifs, on peut choisir de parler n’importe quelle 2ème langue!
Alors pourquoi est-ce important de parler une langue « régionale »? Qu’est-ce que j’y gagne de + ?
Nourrir son identité, être + intelligemment français
En ayant appris, en parlant et en enseignant le provençal, je me suis rendu compte de plusieurs choses qui touchent aussi bien à la langue qu’à la culture, au local qu’à l’universel :
- Tout d’abord, parler cette langue est un moyen pour moi de perpétuer l’histoire familiale (voir ma page « A propos »). J’ai donc un lien affectif fort avec elle.
- Cette langue m’a aussi permis d’avoir un regard + fin et + profond sur ma commune et ses environs grâce à la toponymie, aux noms de famille, aux proverbes, aux mots et aux expressions qui la composent.
- La langue m’a amené à m’intéresser à l’histoire de ma commune, de ma région et de l’Occitanie (non pas la région administrative mais l’espace linguistique) et à prendre du recul sur l’Histoire officielle de la France qui, pendant des décennies, nous a ressassé que « nos ancêtres communs étaient les Gaulois » (alors que chez moi, par exemple, c’était les Ligures).
- Je me suis aperçu, du coup, que je n’habitais pas en « province », qui est selon le Larousse : « [L’] ensemble du pays, à l’exclusion de la capitale, de la région parisienne », cet espace indéterminé où vivent des « ploucs » et qui regroupe indifféremment des villes et villages aussi divers que Marseille, Mirepoix, Strasbourg, Cambrai, Brest, Lyon ou Issoudun. Ce terme permet de considérer les Français(es) qui n’habitent pas la capitale comme des citoyen(ne)s de 2nde zone qui n’ont pas d’histoire, pas d’esprit, pas de classe et auxquels il faudrait apporter la « bonne » culture, celle décidée par une élite intellectuelle, médiatique et politique à partir de Paris.
- J’ai découvert que chaque langue « régionale » occupant le territoire français était riche également de sa musique, de ses chansons, de sa littérature, de ses contes, de son art, de ses manières de vivre, de ses fêtes, de ses traditions, de son histoire, bref, d’une culture qui lui est propre.
- Du coup, je me dis que si chacune de ces langues/cultures pouvait continuer à exprimer ce qu’elle est, à exprimer son originalité en gardant sa langue, si on pouvait étudier à l’école les apports de chacune de ses langues/culture à la France (et au monde) comme la constitution de Pascal Paoli, les Troubadours, la pelote basque ou ce qu’est une langue créole, la France serait + riche culturellement, nos accents ne seraient plus ridiculisés et l’on pourrait enfin parler d’égal à égal avec Paris !! Ah, j’allais oublier, et on n’entendrait plus ce mot hideux de « province » 🙂
Vous l’aurez compris, ce qui est important pour moi, ce n’est pas uniquement les avantages cognitifs qu’apportent une langue « régionale » mais ce que sa culture m’amène, ce qu’elle me fait comprendre sur moi et sur mon rapport aux autres. La culture française nous fait croire qu’il faut « monter » à Paris pour être adoubé par son intelligentsia. Je pense que parler une langue « régionale » (et se réapproprier toute sa culture), c’est comprendre que toutes les langues/cultures se valent et que de chez soi, nous pouvons parler au monde sans avoir peur ou honte d’être nous-mêmes !!!
Merci de m’avoir lu!
J’espère vous avoir donné l’envie d’en savoir + sur la langue « régionale » de chez vous et que vous allez voir sa culture non plus d’une manière condescendante du genre « ils sont gentils avec leurs patois mais ça n’intéresse plus personne !! » mais comme une richesse à entretenir, à agrandir et à partager.
Pour aller + loin vous pouvez lire :
- cet article de Claude Sicre dans la revue « Les temps modernes »
- cet entretien sur le bilinguisme précoce de Gilbert Dalgalian
Et bien sûr, commentez ci-dessous si vous en sentez l’envie et commencez à apprendre le provençal avec les mots de base par exemple ou avec les chiffres de 0 à 10. A bèn lèu!!
Cet article participe à l’évènement inter-blogueurs “de l’importance de parler une ou plusieurs langues étrangères ?” organisé par Machiko et Laurent du Blog : apprendrelejaponais-decouvrirlejapon
Une belle réflexion sur l’importance de faire fonctionner notre cerveau .. aussi pour ne pas nous enfermer dans une pensée unique et pour continuer à cultiver notre esprit critique..
Le provençal , une langue « nationale » pour mieux penser et comprendre le monde ?…
Exactement! Gramaci pèr toun coumentàri !
2 THOUGHTS ON, est-ce dans une langue régionale?
Lol, désolé mais je ne peux pas le changer!!
Adieu!
Je voudrais vous remercier pour votre article sur l’importance de parler une langue régionale et vous féliciter pour votre ouverture d’esprit.
J’ai enseigné le provençal moi aussi, dans le Var, du côté de Cuers et Toulon, dans les années 90.
Ça me fait très plaisir de voir cette ouverture d’esprit chez quelqu’un qui utilise la graphie mistralienne. Ça change des vieux poncifs sur la tradition et le côté « reac » attaché à cette graphie et au félibrige.
De plus vos explications sur le bilinguisme me conviennent parfaitement.
Je vous remercie et vous souhaite un grand succès dans votre entreprise d’enseignement du provençal !
A ben lèu.
Rogier
Merci Roger, vos mots me touchent! N’hésitez pas à faire découvrir mon blog s’il vous a plu car j’aimerais qu’un maximum de gens s’intéresse à la « lenga nòstra » !!
Bèn amistousamen!
Adieu Frederic,
Gramaci per ta responsa.
Veni de pertajar ton blòg sus ma pagina Facebook.
Per ta Playlist que ven, te conselhi d’anar veire dau costat de los fabulos trobadors, de Tolosa, de Jan Maria Carlòti, un ancian de Mont Jòia, eca… M’en donaràs de nòvas.
A ben lèu. Amistadosament.
Rogièr
Adiéu,
Ei tout bèn nouta !
A bèn lèu!
A Nissa, li a Nux Vomica que sont fòrça bons, tanben. Juste calucs coma fau !
O, es verai! A Nissa la sceno musicalo nissarda mi sèmblo tras que interessanto e pleno d’estrambord ! Osco!
[…] du blog le blog d’espagnol 2 – l’article de Frédéric Comba- De l’importance de parler une langue « régio… […]
Adiéu
Je suis tellement ravie de vous avoir trouvé et de voir que notre belle langue et culture provençale n’est pas perdu.
Je suis un peu jalouse j’avoue des Bretons et Basques qui ont mieux su que nous défendre leurs patois.
Lorsque j’étais pitchounette mon père qui est parti très jeune parlait provençau peuchère ainsi que ma famille nous vivions en Provence. Aujourd’hui je suis en montagne et ayant beaucoup bougé j’avoue ne pas l’avoir utilisée et d’ailleurs je ne le parle pas j’ai oublié…
Mon fils est né à Toulon vu qu’il n’y a pas de maternité à Seis Fours 😉et voilà la raison qui me pousse à me replonger dans la lenga nòstra afin de lui transmettre mes origines qui sont aussi les siennes.
Le prochain message je l’espère sera donc en provençau.
Gramaci 😍
A ben léu
Adiéu, je suis très heureux de pouvoir vous aider grâce à ce blog !
J’espère que vous vous régalerez et que vous progresserez 😉
à bèn lèu