Aller + loin

L’importance de transmettre la langue « régionale » à vos enfants

1 0
Read Time:9 Minute, 3 Second

Adessias en tóutei !! Aujourd’hui, je vous parle de la transmission familiale du provençal. L’idée du sujet vient du carnaval d’articles organisé par Karine Tanguy du blog apprendre-le-lingala.com qui m’a demandé d’écrire à ce propos. Au début, je vous avoue que j’ai eu du mal à me lancer dans l’écriture de cet article car la transmission en famille de la « lengo nostro » n’existe quasiment plus et les provençales et provençaux sont eux-mêmes divisés sur ce sujet. Nombreux sont ceux qui pensent qu’il vaut mieux que leurs « pichoun » apprennent l’anglais ou l’allemand ou une autre langue étrangère car elle sera + utile, plutôt que la langue de Mistral même si celle-ci bénéficie encore d’une image positive.

Et pourtant, il me semble qu’il y a des avantages non négligeables au bilinguisme précoce français-langue « régionale » et qu’il y a des solutions, des idées à mettre en place pour y arriver.

2 points importants sont à signaler :

  • Pour des raisons disons « anatomiques » dû à la manière dont le cerveau de l’enfant fonctionne de 0 à 7 ans, l’apprentissage d’une 2ème langue sera + profond, + riche et + durable que passé cet âge (mais si vous démarrez + tard, c’est bien aussi!!). Pour faire simple, + vous démarrez tôt le bilinguisme, mieux c’est!
  • En tant que parent, même si vous ne parlez pas provençal, il faut que votre volonté de lui donner cette éducation bilingue soit ressentie de manière très claire par votre minot. Comme le dit le psycho-linguiste Gilbert Dalgalian : « Il faut que les deux parents soient favorables à cette réappropriation linguistique. Si tel est le cas, l’enfant ne se dérobera pas; même si par ailleurs, il est un rebelle, il va s’inscrire dans le désir parental parce que c’est une condition minimale fondamentale de sa sécurité affective. Il va jouer le jeu et sera performant grâce au soutien affectif des deux parents »
Lou double poutoun - Le double bisou
Lou double poutoun – Le double bisou

Pourquoi transmettre le provençal à vos enfants ?

  1. Les raisons cognitives :

    – Selon une étude de 2010 menée par l’équipe d’Esther Adi-Japha de l’université de Bar-Ilan en Israël, les enfants bilingues concernés par l’étude ont montré une + grande créativité, une + grande imagination et une + grande maîtrise des concepts abstraits que les enfants monolingues.

    – On sait également qu’une personne bilingue a + de facilité pour apprendre une autre langue, surtout si celle-ci est de la même famille de langues. Pour mémoire, le français et le provençal font partie de la famille des langues romanes comme le portugais, l’espagnol, l’italien, le roumain, le sarde ou le napolitain (entre autres)

    – Enfin selon ce Rapport du Conseil Économique et social de l’ONU sur les langues minoritaires de mars 2005 « Tous les travaux de recherche sérieux menés pendant de nombreuses années montrent que l’enseignement bilingue utilisant essentiellement la langue maternelle [ou minoritaire] comme vecteur produit des résultats supérieurs à toutes les autres méthodes d’enseignement, s’agissant de l’alphabétisation et de l’acquisition de connaissances en général, et favorise « l’épanouissement de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ».
  2. Les autres raisons :

    Pour qu’une langue puisse être apprise + facilement par un enfant, il faut ce que Gilbert Dalgalian appelle un « environnement porteur », c-a-d un environnement, dans l’espace privé et/ou public, dans lequel on entende cette langue. Or, à côté du français omniprésent et de l’anglais, il y a encore en Provence des beaux restes de provençal. Que ce soit dans:
    Les traditions (les 13 desserts, la crèche et les santons, la « carreto ramado », les bravades, la pastorale …)
    Les fêtes (le Carnaval, les fêtes votives …)
    Les mots et expressions ( « fan de chichourle », « degun », « l’an pebre », « ensuqué », « pétanque », « emboucaner », « poutoun »…)
    L’accent méridional (qui vient en fait de la manière qu’a un locuteur provençal de parler le français)
    Les toponymes, même s’ils ne sont pas accessibles au 1er abord pour les personnes qui ne parlent pas provençal
    Quelques chansons ( La « coupo santo » chantée avant chaque match du RCT à Mayol, « la cambo mi fa mau », « Jan de Nivello », « Aquelei mountagno » …)

    – Du coup cet environnement porteur amène un autre effet important pour votre progéniture : la perception de l’utilité sociale et intellectuelle de la langue « régionale ». Toujours selon Dalgalian : « L’enfant a besoin d’un vécu : il ne faut pas se contenter de ce qui se fait à l’école, il faut que l’enfant retrouve les éléments de cette présence occitane pour justifier son apprentissage et avoir la perception de l’utilité sociale et intellectuelle de cette langue.« 

Pour conclure ce chapitre, outre les avantages cognitifs liés au bilinguisme, transmettre la langue de Frédéric Mistral à votre bout de chou, c’est :
– lui faire voir, entendre et découvrir son lieu de vie de manière + fine et + profonde,
– lui donner l’occasion d’appréhender différemment ses interactions sociales
– lui donner une assise culturelle à la fois + large et + ancrée à son territoire

Je vous mets ci-dessous en complément, une très bonne interview de Gilbert Dalgalian (je l’ai cité 2 fois, il est temps maintenant de le voir en vrai, 😉 ) qui porte sur le bilinguisme français-basque mais qui est valable pour les autres langues régionales évidemment. Regardez-la et dites-moi en commentaire si elle vous a convaincu ou non.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :   15 citations inspirantes en provençal

Un point à éclaircir: je pars du principe que le provençal est une variété d’occitan donc quand Dalgalian dit « occitan » vous pouvez l’intervertir avec « provençal »

Comment transmettre le provençal à vos enfants ?

Je vous donne ici quelques idées (non-exhaustives) pour que vos « pichoun » apprennent la « lengo nostro ». A vous de voir, celles que vous voulez mettre en place ! 😉

  1. Les mettre dans un établissement scolaire où il y a un enseignement en provençal et/ou une association qui donnent des cours de provençal dans votre ville ou village.
  2. Selon leurs âges, leurs niveaux et leurs envies, ils peuvent aussi être vos professeurs de provençal en vous enseignant à leur manière la prononciation, le vocabulaire (et peut-être même la grammaire) qu’ils auront appris à l’école ou dans les associations (ou ailleurs). Cela peut être très gratifiant pour eux et amusant pour vous !
  3. Leur apprendre à dire « bonjour » et les autres manières de se saluer et les utiliser tout le temps ; ça alors ! ça tombe bien, j’ai fait un article avec podcast sur ce sujet que vous pouvez retrouver en cliquant ici
  4. Leur apprendre les mots de base comme « oui », « non », « s’il vous plaît », « merci » et les utiliser tout le temps ; ça alors !!! ça tombe encore bien, j’ai aussi fait un article avec podcast sur ce sujet que vous pouvez retrouver en cliquant ici 🙂
  5. Profiter des différents moments qui rythment votre journée comme s’habiller le matin, le petit-déjeuner, les repas, les courses ou encore le brossage des dents pour utiliser les mots et expressions qui correspondent à ces moments. Exemple avec les mots du petit-déjeuner : « la bolo » = « le bol », « la tasso » = « la tasse », « lou la » = « le lait ». Pour chercher (et trouver) du vocabulaire je vous ai déniché ce dictionnaire français-provençal en ligne assez complet !
  6. Raconter une histoire, un conte en provençal. Vous avez plusieurs options pour cela:
    – soit le lire vous-même; je vous conseille pour cela de télécharger mon « Guide pour débutants » pour apprendre à prononcer comme il faut puis de choisir un texte simple et court au début
    – soit de le faire lire par une de vos connaissances et de l’enregistrer pour ensuite le faire écouter à votre « nistoun » (« bambin », « bébé »)
    Je vous mets le lien d’un conte sur l’espaci occitan dels Aups sur lequel vous trouverez beaucoup de ressources, principalement en graphie classique, mais également en graphie mistralienne
  7. Apprendre des chansons et des comptines. Pour cela, je vous mets 2 liens:
    – celui de 100 chansons de Provence avec les textes dans les 2 graphies, la traduction, les chansons en entier ou seulement la mélodie
    – celui de Cansouneto, une chaîne Youtube avec des comptines en provençal
    Toujours dans cet esprit musical, écoutez pendant la journée ou le soir, la semaine ou le week-end, de la musique et des chansons en provençal grâce à mes Playlist par exemple ou en vous balladant sur Youtube
  8. Les jeux. Il me faudrait plusieurs articles entiers pour vous détailler tous les jeux que j’utilise dans mes cours adultes ou enfants. Je vous en donne seulement quelques-uns :
    Le jeu de l’oie : dans les cases, vous pouvez mettre des images de vocabulaire à réviser, des mots en français à traduire en provençal ou l’inverse
    Le memory: idem vous pouvez mettre des images ou du vocabulaire dans les 2 langues
    – un jeu que j’appelle « lou trin » (« le train ») car il consiste à « raccrocher » tous les mots dits précédemment comme on raccroche des wagons entre eux. Dans un exemple à 2 joueurs, cela donne ; le 1er joueur dit un mot, le 2ème joueur répète ce mot et en dit un autre, le 1er répète les 2 mots (dans l’ordre) et en dit un autre et ainsi de suite. Chaque joueur doit ainsi répéter dans l’ordre tous les mots dits avant lui puis en ajouter un jusqu’à ce qu’un des participants se trompe.
    – Le « Qui est-ce? » pour tout le vocabulaire du visage, des couleurs, des accessoires
    – Le « Cluedo »
    – Le baccalauréat. Je vous en ai trouvé un en français ici pour exemple, à vous de le modifier à votre convenance

Pour conclure ce chapitre et cet article, je crois qu’il y a 2 mots essentiels qu’il faut retenir de tout ça et sans lequel cet aventure bilingue aura du mal à perdurer sur le long terme, et ces 2 mots sont : AMUSEMENT et PAS DE PRESSION (ça fait + de 2 mots mais c’est pas grave)
Et c’est valable aussi bien pour votre progéniture que pour vous!
Pour l’amusement, prenez du plaisir, jouez avec les mots, jouez la colère ou la tristesse ou d’autres émotions pour faire comprendre ce mot à vos enfants, chantez, mimez, bref lâchez-vous car vous allez ainsi encourager vos petits à faire pareil et vous aurez ainsi un cercle vertueux!
Pas de pression, ça veut dire n’essayez pas d’en faire le champion ou la championne absolue du bilinguisme, mais ne vous en foutez pas non plus! Trouvez le juste équilibre entre ces 2 attitudes pour le laisser se débrouiller seul et lui apporter votre aide quand il en a besoin.

Sur ce, je vous dis « à bèn lèu » et dites-moi si cet article vous a plu et vous a permis ou pas de sauter le pas et de tenter l’aventure du bilinguisme français-provençal.

Cet article participe à l’évènement “L’importance de transmettre sa langue natale à ses enfants” du blog apprendre-le-lingala.com. J’apprécie beaucoup ce blog, et en fait mon article préféré est l’explication du dicton « Un perroquet ne peut pas enfanter en captivité ».

à bèn lèu et apprenez le provençal!! 😉

Happy
Happy
67 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
0 %
Sleepy
Sleepy
33 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %