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Les 3 livres qui ont changé ma vision du provençal

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Adessias en tóutei!! Je prends ma plume pour écrire un article un peu différent de d’habitude. Dans le cadre de l’évènement interblogueurs « 3 livres qui ont changé votre vie » du blog « Des livres pour changer de vie » d’Olivier Roland, je vais vous parler de ces livres qui m’ont influencé, qui m’ont touché, qui m’ont fait voir le provençal de manière différente. J’ai choisi 3 livres mais j’aurais pu en prendre bien + en fait et ça n’est pas forcément ceux que vous croyez (non, il n’y a pas « Mirèio » de Frédéric Mistral) ! 😉 Pour finir cette introduction, je vous invite à aller voir le blog d’Olivier Roland « Des livres pour changer de vie » et notamment cet article sur « L’Alchimiste » de Paulo Coelho!

1 – Jan Petejan, le monde surréaliste du folklore enfantin en Provence de Jean-Luc Domenge

1er tome d’une trilogie dont le but est de collecter tout ce qui a trait au folklore enfantin de Provence, cet ouvrage regroupe entre autres les berceuses, les sauteuses (où l’on fait sauter l’enfant sur les genoux), les amusettes, les doigts de la main ou les incantations aux animaux! Ce qui m’a touché dans ce livre, ce n’est pas juste l’impressionnant travail de collectage (avec quand c’est possible, non seulement l’écrit mais aussi les partitions) mais tout l’univers poétique et burlesque qu’il nous fait découvrir. Quand on apprend une langue (pour moi l’italien et le provençal), on nous enseigne le vocabulaire pratique, les verbes, la prononciation, la grammaire qui nous permettra d’avoir des dialogues d’adulte à adulte mais on n’a pas toute cette dimension ludique du folklore enfantin qui pourrait nous faire du bien pour intégrer du vocabulaire et également la culture du pays (ou de la région). Cet ouvrage (et les 2 autres) est un véritable trésor pour découvrir cet univers surréaliste, ce goût pour les mots, pour retrouver le chemin de notre propre enfance et nous montrer tout un pan de la culture provençale que l’on n’a pas l’habitude d’entendre! A vous parents et grands-parents, je vous suggère de vous l’acheter (ou de l’offrir, ou de vous le faire offrir) pour continuer de faire vivre toute cette tradition orale méconnue. Evidemment, les enseignants de provençal et occitan auront également un intérêt à se le procurer! 😉

QUELQUES EXTRAITS
UNE BERCEUSE

Prouvençau Français
Sant souem, vène vène vène
Sant souem, vène que siés bouen.
Lou sant souem vòu pas veni
Lou pichoun pòu pas durmi
Sant souem, vène vène vène
Sant souem, vène que siés bouen.
Saint sommeil, viens, viens, viens
Saint sommeil, viens car tu es bon.
Le saint sommeil ne veut pas venir
Le petit (le bébé) ne peut pas dormir
Saint sommeil, viens, viens, viens
Saint sommeil, viens car tu es bon.

LES DOIGTS DE LA MAIN
Le jeu du « petit lièvre » : On prend la main ouverte de l’enfant. Du bout de l’index on trace à l’intérieur, des cercles successifs qui chatouillent légèrement la paume, en disant les 1ers mots de la formulette. Puis, secouant chaque doigt en commençant par le pouce, on dit la suite. Les derniers mots dits, on lâche le petit doigt en faisant le geste de le jeter au loin.

ProuvençauFrançais
Dins la carriereto
Passè’no lebreto
Aquéu la veguè
Aquéu l’arrapè (ou l’agantè)
Aquéu la fè couire
Aquéu la mangè
E lou pichounet rèn aguè
Dans la ruelle
Passa un petit lièvre
Celui-là le vit (le pouce)
Celui-là l’attrapa
Celui-là le fit cuire
Celui-là le mangea
Et le tout petit n’eût rien

2 – La Robinsouno prouvençalo d’Etienne Garcin

Cet ouvrage que j’ai acheté à un libraire ambulant lors d’un marché nocturne dans mon village, m’a plu pour plusieurs raisons :
1) L’auteur, Etienne Garcin, né à Draguignan en 1784 et mort dans la même ville en 1859, n’a pas eu le temps de finir d’écrire ce livre. Nous avons donc affaire à un manuscrit inachevé qui a été retranscrit intégralement pour être publié en 2007. Il aurait donc très bien pu rester à la Bibliothèque municipale de Draguignan sans jamais être publié, j’ai donc chez moi un livre rare
2) Il s’agit d’une « robinsonnade », c’est à dire un genre littéraire bien spécifique
3) Il est écrit en provençal (et en français) mais dans le dialecte maritime (c’est à dire celui que je parle). Du coup, j’ai pu y voir le vocabulaire de l’époque, comme quand on lit Rabelais en ancien français dans le texte
4) Je me suis rendu compte que l’activité littéraire provençale était + riche que ce que je croyais, et qu’à toutes les époques, des écrivains choisissent d’écrire dans cette langue plutôt que le français, par plaisir, par esprit de résistance ou parce que c’était leur langue maternelle. Pour moi, ce livre me montre que tout est encore possible pour notre langue si on s’en donne les moyens

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :   Ma Playlist provençale et occitane de septembre 2020

3 – Poésie du gérondif de Jean-Pierre Minaudier

Loin d’un livre théorique ardu sur la linguistique, cet ouvrage léger et plein d’humour est une ode aux langues du monde entier et à la créativité, l’inventivité humaine qui en est la source. On suit l’auteur dans sa passion de collectionneurs de livres de grammaires de langues rares et d’ouvrages de linguistique (il en possède 1304 exactement, concernant 935 langues) et on s’émerveille avec lui de ce fantastique trésor de l’esprit humain toujours en évolution et en mouvement. Jean-Pierre Minaudier nous fait voir la grammaire non pas comme une discipline rude et austère mais comme « une invitation à la rêverie et à la rencontre de l’autre […] si on l’aborde comme une ouverture sur le monde et non comme une tyrannie » (p.20).

LA THEORIE
Pour lui, « […] Toute langue recèle une vision du monde. S’il est possible, comme le soutiennent Chomsky et son école, qu’il existe une grammaire universelle, c-a-d des règles communes à toutes les langues, il n’en reste pas moins que, de l’une à l’autre, elle s’inscrit dans des formes très variées qui découpent le réel différemment, provoquant dans l’esprit des locuteurs des associations distinctes dont la combinaison finit, au total, par dessiner plusieurs images du monde : comme l’on peut […] d’un même archipel, dresser une carte moderne, un portulan ou une « stick chart » (« carte micronésienne ») faite de petits bâtons et de coquillages. Chacune de ces représentations impose en nous une image […] de l’archipel : une « stick chart » indique des vents et des courants, un portulan notes des escales avec leur orientation, une carte moderne accorde autant d’importance à l’intérieur des terres qu’à la mer et aux côtes. la différence, c’est que les cartes […] sont élaborées pour répondre à des besoins qui leur préexistent, tandis qu’une langue naît et se développe toute seule pour l’essentiel : c’est de manière imprévisible, incontrôlée qu’elle oriente notre regard sur les choses. Pour moi, l’intérêt de l’existence de 6000 systèmes linguistiques différents dans cet improbable recoin de galaxie où il nous est donné de faire 3 petits tours réside essentiellement dans cette diversité des visions du monde.«  (p.56)

UN EXEMPLE
« L’étude des grammaires nous apprend encore que les concepts de droite et de gauche, qui sont relatifs (on est toujours à droite ou à gauche de quelque chose), n’ont rien d’universel : certaines langues possèdent des systèmes d’orientation absolus, comme le taba, langue austronésienne parlée au large d’Almahera, en Indonésie, où l’on distingue « le côté de la mer » et « le côté de la terre » (les locuteurs du taba habitent les côtes d’une île, laquelle est ronde – il ne s’agit donc pas de points cardinaux). On ne dit pas « Les cigarettes sont à gauche (ou à droite) de la chaise », mais Tabako adia kurusi ni lewe lema, « Les cigarettes sont du côté de la terre par rapport à la chaise », ou Tabako adia kurusi ni laelama pope, « Les cigarettes sont du côté de la mer par rapport à la chaise » : chacune de ces 2 phrases veut dire « à droite » ou « à gauche » selon la position du locuteur.
Cela ne signifie pas que les locuteurs du taba perçoivent l’espace différemment de nous : avec les 2 systèmes, on aboutit aux mêmes résultats en termes de communication – encore heureux. Mais cela conduit sans doute les gens qui parlent taba à prêter en permanence, instinctivement, une attention extrême à la position des objets dans l’espace. […]
Ceci, à l’évidence, influe sur la perception du monde : […] pour un locuteur du taba, l’orientation vis-à-vis de la côte constitue une information essentielle à la communication. Une fois acquise, en revanche, cette information demeure immuable : il n’y a pas, comme dans nos langues, de complications liées au fait que lorsqu’on bouge, certains objets qui étaient à gauche ont l’idée idiote de passer à droite et vice-versa. […] Aucun des 2 systèmes n’est plus complexe que l’autre : leur complexité est différente, c’est tout, et le passage de l’un à l’autre est aussi malaisé dans un sens que dans l’autre. » (p. 111, 112 et 113)

Du coup, en lisant ce livre, je me suis demandé en quoi la langue de Mistral (ou l’occitan) représentait une vision propre de l’existence? Au delà du vocabulaire, de la prononciation, de la grammaire, qu’est ce qui distingue « la lengo nostro » du français, de l’allemand ou du navajo? En quoi sommes-nous distincts? Bon j’y réfléchis encore, mais si vous avez des réponses je suis preneur!

à bèn lèu et apprenez le provençal ! 😉

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